martes, 3 de agosto de 2010

Increíble, mas 200.000 turistas lo disfrutn


OLIVIER CIRENDINI

Le Midnatsol ("soleil de minuit") au port de Kirkenes, terminus du voyage près de la frontière russe.

Arild Hårvik, commandant du MS Midnatsol, l'un des express côtiers Hurtigruten qui longent les côtes de Norvège, est reconnaissant au Gulf Stream. “Sans ce courant chaud venu des Caraïbes, nous ne pourrions pas être ici en cette saison. La côte norvégienne est le seul endroit au monde où il est possible de naviguer jusqu'à 71 degrés nord tous les jours de l'année.

VISITEURS DU GRAND NORD NORVÉGIEN

Aujourd'hui, le Cap Nord voit plus de 200000 visiteurs par an. Aventures d'un point extrême devenu destination-plaisir.

En 1553, le navigateur anglais Richard Chancellor, capitaine de l'Edward Bonaventure, s'aventurait jusqu'au Finnmark norvégien en quête du mythique passage du nord-est, voie maritime la plus rapide vers la Chine. Il ne trouva pas ledit passage, pris par les glaces, mais baptisa le Cap Nord.

Son navire fut retrouvé sur les côtes de Mourmansk, l'équipage mort de froid. Avant lui, les vikings et les Sami venaient pêcher dans ces mers froides et redoutées. Le premier “touriste” à fouler le Cap Nord fut un prêtre italien. Seulement motivé par la volonté de voir de ses yeux l'extrême nord du continent européen, Francesco Negri s'embarque en 1664 à destination du Cap.

Le récit de son voyage, "Viaggio Settentrionale", fut publié par les autorités religieuses après sa mort, en 1700. “Me voici au Cap Nord, à l'extrême pointe du Finnmark, et j'ose dire au bout du monde puisqu'il n'existe pas de lieu habité au nord de ce point. Ici, là où finit le monde, s'achève aussi ma curiosité. Je rentre, si Dieu le veut, […] au pays où je suis né”, concluait le prêtre, satisfait.

Aujourd'hui, le cap accueillerait près de 200 000 visiteurs par an, ce qui confirme l'importance croissante du tourisme pour le Nordland et le Finnmark norvégiens. Les voyages d'agrément constituent une large part de l'activité de la ligne Hurtigruten, et le tourisme est au coude à coude avec la pêche dans l'économie des Lofoten.

Ces dernières ont elles aussi reçu au cours de leur histoire une visite restée dans les mémoires. En 1432, le Vénitien Pietro Querini et son équipage, pris par la tempête, furent poussés par le Gulf Streamjusqu'à l'archipel et recueillis par les habitants de l'île de Røst. Les Italiens, séduits par leur passage, firent des récits enthousiastes de l'hospitalité norvégienne. C'est à la suite de cet épisode que lestockfish est réputé en Vénétie…

Aujourd'hui, la température de l'air est de moins 4°C, mais l'eau atteint plus 3,9°. "C'est bon pour les morues”, explique-t-il. De l'autre côté des vitres de la passerelle, les bourrasques couvrent de givre les ponts du navire. Il en faut plus pour venir à bout du flegme du commandant Hårvik.

Impeccable dans sa veste à galons, il garde un oeil sur le cap. Parti de Bergen la veille au soir, le dernier né des express côtiers Hurtigruten progresse au matin entre des îles basses, plates, monochromes. Des îlots transis posés au ras des flots, qui émergent fantômatiquement dans la pâleur du jour. S'immisçant dans des passes et des fjords, le navire reste dans les interstices d'une côte qui ressemble à un puzzle dont on aurait retiré des pièces pour ouvrir le passage à la mer.

Dans l'un des salons, un cadre présente les 82 navires qui se sont succédé sur la ligne depuis sa création. L'histoire d'Hurtigruten (la route rapide) débute en 1891, lorsque l'État norvégien ouvre une liaison maritime régulière entre Trondheim et Hammerfest, au-delà du cercle polaire. Plusieurs compagnies refusent. La nuit polaire est alors la même qu'aujourd'hui, mais les cartes sont imprécises et la signalisation réduite.

Seul le capitaine Richard With relève le flambeau. Le 5 juillet 1893, il est à la barre du vapeur Vesterålen qui s'amarre à Hammerfest.
L'express côtier est né. Par la suite, la ligne sera étendue jusqu'à Bergen, au sud, puis Kirkenes, à l'extrême nord du pays. Plus d'un siècle après, les ferries Hurtigruten opèrent chaque jour de l'année. Une navigation de 1330 miles (2460 km) jalonnée de 34 ports d'escale.

“À l'origine, le but était d'acheminer marchandises et courrier en toutes saisons jusqu'aux ports du nord du pays, où le train ne monte pas et où les routes étaient fréquemment coupées en hiver, explique Kari Moe Sundli, responsable du tourisme à bord. L'avion est devenu une autre option mais la ligne [maintenant subventionnée, NDLR] a toujours sa raison d'être. Le tourisme assure aujourd'hui une part importante de l'activité et les ferries acheminent localement beaucoup de produits. Ils sont aussi un lien social : il est fréquent que les habitants montent à bord à l'escale le temps d'un verre. Hurtigruten est plus qu'un moyen de transport. C'est une tradition.”

A Molde, retrouvailles sur le quai enneigé. Une famille engoncée dans de lourds vêtements étreint un homme au physique de bûcheron qui descend de la passerelle en prenant garde à ne pas glisser sur la glace. Monté à bord quelques heures plus tôt, il a passé le temps en buvant au bar le léger café scandinave et en discutant avec les marins dans les accents rocailleux de la langue norvégienne.

Malgré leur silhouette de paquebots, les Hurtigruten sont des omnibus. Aux escales, ils ne s'arrêtent que le temps de décharger marchandises et passagers. Les ports se succèdent. Ålesund, Kristiansund, Trondheim… L'arrêt à Brønnøysund est un tour de force. Sous la lumière trompeuse de la lune, le Midnatsol approche à vitesse réduite d'une côte ponctuée de dizaines de balises. Rouges, vertes, fixes ou insistantes, comme si elles étaient plus ou moins stressées par les écueils en dessous d'elles. Manoeuvre délicate. Le navire s'approche dans un chenal à peine plus large que ses 135 mètres, puis effectue un demi-tour à coup de propulseurs d'étrave pour présenter au quai son flanc bâbord. Il y aura encore deux autres escales pendant la nuit avant d'arriver à Ørnes.

Entre-temps, on aura franchi le cercle polaire. 66° nord. Le Midnatsol entre dans un territoire plongé il y a encore quelques semaines dans la nuit polaire. Le jour se lève après 9 heures, la nuit tombe avant 16 heures. Entre les deux, les éclaircies alternent avec la lumineuse semi-obscurité d'un soleil diffus, blanchie par un voile de nuages jusqu'à ressembler à la Lune, qui se pare parfois de reflets orangés en fin de journée. On n'est parfois pas très sûr de la nature de l'astre qui nous éclaire.

Svolvær s'annonce dans la nuit. La principale ville des Lofoten apparaît sous la silhouette des montagnes qui se découpent sous la lune. À la lumière, on découvre un archipel à la beauté brute et sereine, déclinant une vraie douceur de vivre au nord du cercle polaire. On comprend pourquoi les îles ont séduit tant de peintres.

Le navire rejoint ici un autre grand voyageur des mers froides : le skrei. Chaque année, entre fin janvier et mars, les morues d'hiver descendent de la mer de Barents pour trouver la chaleur duGulf Stream. La route du courant chaud, qui tape juste sur l'archipel, a fait des Lofoten le lieu d'une pêche quasi miraculeuse.

Rares sont ceux qui connaissent aussi bien le stockfish – la morue séchée – que John Berg. Oeil vif derrière ses lunettes cerclées de métal, chemise à carreaux, l'homme d'affaires reçoit dans ses modestes bureaux du port, au-dessus des entrepôts où sèchent les poissons qui ont fait la richesse de sa famille. Ça sent fort. On dit ici que la morue a l'odeur de l'argent. “Pour bien sécher, la morue doit être d'excellente qualité, explique-t- il. Celle des Lofoten est réputée comme la meilleure à cause du micro-climat des îles. La majorité de la production part en Italie. Dans la région du Veneto, le stoccafisso est un plat de choix.”

Partout dans l'archipel, de grandes claies de bois attendent les poissons qui seront mis à sécher bientôt. Sur le port de Henninqsvær, Svein Egil Hansen, patron du Vestvaring, prépare son bateau pour la saison. Préparant ses épissures mains nues dans l'air gelé, il affiche un sourire confiant.